Aujourd’hui, je voulais vous faire part d’une réflexion sur un sujet qui revient assez souvent dans ma pratique, et dont je pense qu’on pourrait avoir plus conscience. C’est la différence entre le réalisation d’une action et sa compréhension, l’exécution et la compétence, le faire et le savoir faire. En anglais : « performance and knowledge » (un thème cher à un de mes confrères américain d’éducation et de frisbee : Ron Watson)

Il est important, quand on demande quelque-chose à son chien, de savoir

Parfois, les chiens font ce qu’on leur demande un peu par hasard, un peu à l’instinct, sans vraiment avoir saisi les nuances (typiquement, rapporter une balle). Et pourquoi est-ce important de les aider à comprendre vraiment ce qu’on leur demande ? Pour être sûr de ne pas le prendre en défaut, pour savoir déterminer quand quelque chose est trop dur, pour être sûr qu’ils ne se mettent pas en danger en exécutant “bêtement” quelque chose.

Si je prends un exemple humain, il y a une différence entre conduire et SAVOIR conduire. Je suis capable, sans savoir conduire, de faire avancer une voiture automatique si on m’explique les manip à faire. Est-ce que je sais pour autant conduire ? Bonne question !

(Merci ma Pampa de nous montrer la différence entre conduire et savoir conduire… Pampa savait conduire, bien sûr ! Vieille vidéo datant de 2011)

Dans un autre style, y a aussi une différence entre croiser les bras et SAVOIR croiser les bras. Là, comme ça, sans le faire, sans le visualiser, savez-vous me dire quelle main vous mettez au-dessus, est-ce que vous mettez votre pouce de manière à englober le bras avec votre main ou simplement posé sur votre bras ? Si vous hésitez, c’est peut-être que vous ne SAVEZ pas croiser les bras. Il y a une différence entre tomber d’un vélo, et SAVOIR tomber d’un vélo. Le cascadeur devra apprendre à tomber, quels gestes faire pour que ça ait l’air à la fois vrai et que ça soit sécure pour lui. En judo aussi, on apprend à tomber. Il y a une différence entre chanter et savoir chanter. Et là je ne parle pas de chanter juste. Mais juste de chanter. Personnellement, je ne sais pas activer mon diaphragme, quels muscles utiliser pour régler mon souffle, à quel point ouvrir la bouche, etc. Il y a même une différence entre respirer et savoir respirer ! Je pense qu’un sophrologue, un maître yogi, un plongeur, devront savoir respirer. Alors que nous, on n’a besoin que de respirer.

Est-on sûr que le chien a compris ?

Pampa baille, mais elle ne sait pas bâiller sur demande

Souvent, on pense que le chien sait faire quelque chose, parce qu’il le fait. Exemple banal du couple jeune chien/jeune maître (jeune par l’expérience…) : le assis. Le “jeune maître” pense que le chien sait faire assis, parce qu’il s’assied quand il lui met une friandise au-dessus du nez, ou quand il réclame une friandise. Il sait aller sur une zone en agility, parce qu’il fait sa zone quand je lui mets une cible en bas et que je suis à côté. Mais si vous changez le contexte, a-t-il vraiment compris comment son corps fonctionne, quels muscles il doit activer pour s’asseoir/pour faire sa zone ? On pense qu’il sait s’asseoir quand on dit “assis”. Mais si on lui tourne le dos, le fait-il encore, ou ne sait-il le faire que s’il est en face de nous ? S’il le fait encore, c’est probablement qu’il a compris et le mot, et le comportement exact à reproduire. Félicitations ! S’il ne le fait que s’il est en face de nous, il n’a peut-être pas compris que le mot « assis » signifie plier ses postérieurs et mettre le poids du corps en arrière jusqu’à ce que les fesses touchent le sol, où qu’on soit par rapport à lui. Il a peut-être compris que ce mot veut dire lever la tète vers mon maître pour le regarder (et comme c’est plus facile de poser ses fesses quand on lève la tête, on les pose au passage). Du coup, si on n’est plus devant, il cherche à se remettre en face. Ou peut-être n’a-t-il jamais percuté le mot et simplement repéré notre posture ?

L’autre jour en stage frisbee, on a vu une belle illustration avec un chien qui, en bon border collie, tournait sans cesse autour de sa maîtresse en attendant qu’elle lance. Mais à partir du moment où elle lui a demandé de tourner, impossible. Le chien ne comprenait pas, tentait de passer par l’autre côté etc. Tout simplement parce qu’il faisait n’était pas vraiment faire le tour de sa maîtresse, c’était laisser aller son instinct, laisser exploser son énergie sans vraiment savoir ce qu’il faisait, même si pour nous, visuellement, on aurait dit un chien qui tourne autour de sa maîtresse. En réalité, il ne savait pas tourner autour, et quand il essayait de le faire en réfléchissant (comme quand on essaye de croiser les bras en réfléchissant) c’était très compliqué pour lui.

Yéti sait passer sous ma jambe quand je dis “pass”, quelle que soit ma position. Elle SAIT donc le faire.

Or, dans les sports canins notamment, il est très important que le chien SACHE faire ce qu’on lui demande. Non pas qu’il soit plus ou moins contraint, poussé, tiré (même par une friandise) pour le faire, mais qu’il le fasse vraiment en toute conscience. En frisbee, un chien peut réussir à s’appuyer sur vous lors d’un saut parce qu’il est attiré par une friandise ou un frisbee. Mais s’il n’a pas conscientisé son action, il risque de se mettre en danger, tout comme le plongeur qui ne saurait pas respirer ou le grimpeur qui ne saurait pas vraiment utiliser son corps pour escalader.

Ici Yopp a conscience de ses appuis et de ce que je lui demande quand je lui dis de s’appuyer. Sinon il sauterait droit au disque pour se faciliter la vie

Alors quand le chien a-t-il compris ?

Peut-être peut-on dire (mais ça n’est qu’une piste de réflexion) qu’un chien comprend ce qu’il fait, a acquis un certain savoir-faire, lorsqu’il est capable 1/ de faire cette action sur demande (encore faut-il qu’il ait appris le signal correspondant, bien sûr) et 2/ de généraliser son action, c’est-à-dire de faire la même action, dans un contexte différent.

Par exemple, mon chien sait porter une balle. Il apporte la balle que je lui lance quand je lui dis apporte. Mais a-t-il vraiment compris ce qu’il fait, ou a-t-il juste trouvé une stratégie qui fait que vous lui relanciez la balle ? La porterait-il même si je lui disais « saucisson », parce qu’en fait il n’a pas saisi le mot, mais le contexte ? A-t-il vraiment compris que ce son « apporte » veut dire aller vers l’objet, ouvrir la bouche, le prendre en gueule, serrer la gueule, maintenir la gueule fermée jusqu’à un signal de fin ? Pour le savoir, il suffit de généraliser. Demandez-lui d’apporter autre chose, un objet qu’il n’a pas l’habitude de prendre en gueule (un verre en plastique solide, un mouchoir, un tube pvc, un coussin, une cuillère…). Comprend-il ce que vous lui demandez ? Essaye-t-il de le prendre en gueule ? Si oui, c’est un bon début, qui vous indique qu’il sait ce quoi vous parlez, même s’il n’y arrive pas encore. S’il essaye de faire autre chose (le pousser avec la patte, poquer avec son nez, se coucher, s’asseoir, etc) c’est qu’il ne comprend pas VRAIMENT à quelle action se rapporte ce mot, une fois qu’il est sorti de son contexte, et qu’il essaye de deviner quelle action pourrait être logique et facile à réaliser avec cet objet. Et s’il comprend le mot, sait-il actionner sa mâchoire de façon à ce qu’elle puisse prendre cet objet efficacement ? Si un chien « sauvage », ou même un jeune chiot, veut traîner un oreiller, une carcasse, ou déplacer une cuillère pour X raison, il en sera toujours capable. Car il est motivé intrinsèquement (par la faim, par exemple. Ou l’envie de jouer… Qui viennent de ses tripes). Une espèce d’instinct va prendre le dessus, et il trouvera une solution. Mais s’il n’est pas plus motivé que ça, que sa motivation est extrinsèque (elle vient du maître, de l’éventuelle récompense qu’il pourrait en tirer), comprendra-t-il ce qu’on lui demande ? Et saura-t-il, sans son reflexe instinctif, quels muscles actionner pour réussir à porter cet objet ?

Pourquoi le chien doit-il SAVOIR faire ?

En frisbee, en sports en général, il est essentiel que le chien ait COMPRIS l’action qu’il fait, qu’il soit conscient de ce qu’on lui demande, de ce qu’il faut mettre en œuvre pour y arriver… En frisbee freestyle, on dit même que chaque figure, chaque lancer, est fait pour montrer une « compétence » du chien (la compétence consciente à se freiner, à accélérer, à attraper différents types de vols de frisbee, à enchaîner, à lâcher, à garder en gueule…)

C’est essentiel, cette compréhension, cette “compétence” tout simplement pour trois raisons principales :

Petite vidéo de la classe de mer annuelle Canissimo. A la fin, vous voyez un parfait exemple de Jupi, qui fait, mais ne sait pas faire (on voit qu’il se contente de suivre une friandise, même si cela fait de lui le plus mignon des mignons !)

Dans la vie, on peut prendre tout un tas d’exemples. Mon chien s’arrête d’aboyer quand je lui dis de se taire. Mais pour autant, a-t-il compris le principe, ou réagit-il par réflexe à une menace ou au contraire à une promesse de récompense ? S’il a compris, la prochaine fois qu’on le lui demande (et qu’il veut bien s’y plier) il saura quoi faire. S’il n’a pas compris et c’était juste « comme ça », il ne saura même pas ce qu’on lui demande, ni comment faire pour se taire. Et c’est là qu’on s’énerve en se disant « il se fout de moi ! » Alors que pour de vrai, même s’il l’a fait 50 fois avant, il ne saura juste pas le faire s’il n’y a pas le déclencheur de la menace ou de la promesse…

Dans tout apprentissage, il y aura donc ces deux phases.

Et relativement souvent, on s’arrête là, car on a l’illusion que comme il fait l’action, il sait la faire.

Comment aller vers la compréhension ?

Nous en avons parlé ci-dessus. Deux des clés pour cela sont la décomposition et la généralisation.

Pour ceux qui font du shaping (méthode d’apprentissage par approximation), le fait d’orienter le chien tout en le laissant réfléchir lui-même est une des meilleures façons de développer cette compréhension réelle. Car on ne récompense pas l’action finale, mais toutes les petites étapes, donc le processus pour aller vers cette action. Et qui dit processus dit cheminement, qui dit cheminement dit réflexion, qui dit réflexion dit finalement compréhension. On peut aussi parfois mêler leurre et shaping : on commence par montrer au chien le résultat souhaité, puis on lui demande de retrouver le processus pour y arriver (et là bien sûr on récompensera chaque action). Cela sous-entend qu’avant cela, on a aussi réfléchi aux étapes intermédiaires de tout comportement… Par exemple pour apprendre à croiser les pattes en étant couché, il faut d’abord savoir soulever une patte quand on est couché… Et quand on croit que le chien sait donner la patte parce qu’il nous la jette quand on tend la main, et qu’on se retrouve avec un chien couché, qui n’a aucune idée de comment donner cette patte dans cette position, ni même de ce qu’on lui demande… c’est… devinez quoi… qu’il n’a COMPRIS ni le mot patte, ni le mécanisme qui consiste à décaler son poids du corps, contracter les muscles de l’épaule et soulever le coussinet du sol. Quelle que soit sa posture… (certains chiens ne savent même pas donner la patte en étant debout. Ils ne savent le faire qu’assis, car il leur manque la capacité à déporter leur poids vers l’arrière.) Si le chien essaye mais n’y arrive pas, c’est qu’il a compris le mot (ou votre geste de la main), mais pas comment faire fonctionner son corps dans cette nouvelle posture. Là encore, c’est déjà très bien ! Enlevez le geste de la main. S’il n’essaye pas, ou essaye complètement autre chose, c’est qu’il n’a pas compris le mot ?

Ici le but est d’apprendre à Yopp à lever une patte et la garder en l’air sans support.
Après lui avoir appris à lever une patte avec support, je modifie le support, je l’affine afin qu’il puisse moins s’appuyer, je l’éloigne.
Au milieu on voit qu’il n’a pas vraiment compris : il essaye aussi de poser son nez et de donner sa patte arrière. On est simplement en cours de compréhension. Il le fait, mais ne sait pas encore faire…

La répétition associée à une généralisation est un autre moyen de réussir. Changer de contextes, changer d’objet, d’environnement, de posture, de supports, et répéter, répéter, répéter… jusqu’à ce que le seul point commun à tout ça, ce soit par exemple le fait de plier les postérieurs, retenir son poids du corps tout en allant vers l’arrière, et finir les fesses posées au sol, tout en maintenant ses pattes avant également au sol. Et ce, quelle que soit la position du maître, la surface au sol, etc.

Je vous invite donc à vous poser la question, quand vous demandez quelque chose à votre chien, ou simplement quand vous le voyez « faire » (en anglais « perform ») quelque chose, même dans votre sport. Mais sait-il vraiment le faire ? Souvent, je pose la question à mes élèves. « Est-ce qu’il sait faire ça ? ». Et souvent, ils répondent oui. Sauf quand ils me connaissent, et savent que s’ils disent oui, je vais demander de me le prouver lol ! Et là on part dans « mais pourtant il le fait super bien chez moi/avec son jouet/sur le tapis… » ou « pourtant dans les bois, il monte sur tous les trucs ! ». Oui mais là, quand on le lui demande, et que l’objet est inhabituel, ou que le maître est couché au sol, il ne sait plus faire…  Souvent, la réponse réelle serait « il le fait, mais il n’a pas compris comment le faire dans tous les contextes » ou « il le fait dans certains contextes, mais il ne sait pas ce qu’il fait ».

Attention, une nuance importante. Le chien peut ne pas faire quelque chose parce qu’il ne sait pas le faire, mais aussi, et ce même s’il sait faire, parce qu’il a peur, mal, qu’il n’est pas prêt émotionnellement parlant, qu’il est déconcentré par l’environnement, qu’il n’est pas motivé, que ça demande une intensité musculaire différente, etc. D’où, encore une fois l’importance de se poser la question… S’il sait le faire, qu’on en est sûr, et qu’il ne le fait pas, c’est sans doute que quelque chose l’en empêche. Et c’est une piste intéressante à explorer, pour sa progression comme pour son bien-être.


Yéti savait faire du skate. Elle savait prendre son élan, bouger son poids du corps, monter au bon moment, redescendre au bon moment. (mais elle ne savait pas le diriger). Elle n’était pas par hasard posée sur un skate.

Si vous avez déterminé que finalement, votre chien ne « sait » pas faire tel ou tel comportement, selon votre degré d’intérêt pour la chose, vous pouvez décider d’aider votre chien à comprendre ce qu’il fait, ou simplement laisser ça comme ça, parce que ça vous va bien à tous les deux. On n’est pas obligé d’être un expert en tout. Par exemple, ne pas savoir chanter me va très bien. Mais pour un chanteur, c’est plus embêtant. Donc si votre chien est un sportif, par exemple, il est plus embêtant qu’il ne comprenne pas les compétences de bases qu’il exécute.

Mais dans tous les cas, c’est quand même intéressant de se poser la question : est-ce qu’il sait faire ???

Exemple en medical training. Yopp SAIT ce que « porte » veut dire. Il peut le faire avec tous les objets, dans tous les contextes, car il a beaucoup été travaillé avec ça au frisbee. S’il ne le fait pas, c’est qu’il éprouve un inconfort, par exemple, ça n’est pas qu’il n’a pas compris.

C’est ainsi qu’il m’a été très facile d’exporter ce mot « porte » sur un objet bizarre comme cette perche à selfie, pour lui apprendre à garder la gueule ouverte en medical training. Il a simplement fallu deux ou trois essais pour qu’il s’habitue à la matière, prenne confiance en l’objet. Deux ou trois essai, après des années de travail sur la compréhension du “porte”. Et quand on me demande comment j’ai fait (parce que Poupy, il sait bien porter sa balle, mais il veut pas ouvrir la gueule sur la perche à selfie), ma foi, je ne peux que répondre que c’est un processus long généralisation du « porte et garde en gueule », jusqu’à compréhension profonde et du mot, et du processus musculaire que le chien doit mettre en place pour y parvenir… Compréhension vs exécution…