Attention, sujet “complexe”, je vais faire en sorte d’y apporter toutes les nuances nécessaires…
Ceux d’entre vous qui traînent sur les forums (oh là là « forums », j’ai 8 ans de retard ! Sur facebook… Mince, encore 5 ans de retard… Alors sur insta ?)… Bref, ceux d’entre vous qui se tiennent au courant des dernière techniques d’éducation positive ont peut-être senti un débat (justifié) pointer son nez ces derniers temps.
Il y a 10 ou 15 ans, en éducation positive, le must, c’était d’apprendre à son chien à nous regarder. Ca voulait dire qu’il était concentré et entièrement sur nous. Maintenant, apprendre à son chien à nous regarder, en éducation positive, c’est un peu diabolisé. Ca veut dire qu’il est robotisé et a perdu tout libre arbitre.
Et si, comme d’habitude, il y avait un juste milieu possible, un peu de nuances de gris dans un monde en noir et blanc ?
Je fais encore partie des “vieux ringards barbares” qui renforcent le regard spontané du chien vers nous, la réorientation, mais attention, pas n’importe comment, et pas à tout prix ! En effet, je suis tout à fait d’accord pour dire qu’imposer le regard (« regarde-moi, regarde-moi, regarde-moi ! ») n’est jamais une bonne solution, et que dans de nombreuses situations, il vaut largement mieux laisser le chien regarder ce qui l’intrigue que de le forcer à nous regarder. Ce qui ne m’empêche pas de le renforcer quand il décide de me regarder (pour les novices “renforcer”, c’est “récompenser” par quelque chose que le chien aime, de manière à ce que ce comportement arrive plus souvent) … En gros, cela doit être un choix du chien, il y a toujours une notion de consentement derrière. Alors oui, parfois, au début, on va devoir aider le chien à comprendre que ce choix existe, le faire entrer dans le champ des possibles (parce que pour certains chiens, se tourner vers son maître en cas de difficulté n’est absolument pas naturel). Cela va demander un petit travail de renforcement. Mais une fois que le chien a compris qu’il a ce choix, et ce que ça lui apporte, il va falloir lui faire comprendre qu’il a également tous les autres choix devant lui, et qu’il peut prendre tout son temps pour se recentrer sur nous quand il est prêt.
Ici, je parlerai surtout de la vie de tous les jours. Un chien qui a été correctement renforcé, sans forcer, et a une bonne relation avec son maître, le regardera naturellement quand il “travaille”. Parfois même, ce regard peut être handicapant (quand on a besoin qu’il regarde droit devant lui mais qu’il cherche une confirmation auprès de son maître.). D’autres chiens sont aussi trop focalisés sur le maître et auront besoin d’apprendre à regarder ailleurs. Mais ça, c’est une autre histoire…
Alors faisons ensemble ce petit voyage au pays de la nuance…
Pourquoi encourager le regard ?
- Pour faire entrer le maître dans l’univers du chien. Eh oui, si certains chiens se tournent assez naturellement vers leur maître, de par leur personnalité, leur histoire, leur génétique, pour d’autres, c’est bien plus compliqué de comprendre que le maître peut faire partie du paysage quand il sont dehors, par exemple. Je ne vais certes pas demander au chien de me regarder tout au long de la promenade (Dieu m’en garde !) mais simplement de me réserver une petite place au coin de son cerveau. Parce qu’après tout, cette balade, on la fait ensemble, non ? Comme quand je me balade avec un groupe, je ne suis pas obligée de discuter en permanence avec les gens du groupes, mais je suis consciente que le groupe existe et je regarde régulièrement vers lui si je m’éloigne. De la même façon, si je fais demi-tour sans prévenir mon chien, j’aimerais qu’il s’en rende compte. J’aimerais que, s’il s’éloigne, il pense à regarder où je suis de temps en temps. Pour ça, j’ai deux solutions, qui semblent opposées, mais sont en réalité complémentaires : 1/ je ne l’embête pas en permanence à lui demander de me regarder, je ne le noie pas sous les paroles et je le laisse profiter du paysage ; 2/je renforce (par la voix, par le jeu, par une friandise, par ce qu’il veut) quand il décide de lui-même de se tourner vers moi. (voir aussi le podcast “Vous vs le reste du monde, comme l’or et l’acier”)
- Pour canaliser l’impulsion et proposer une solution alternative. Certains chiens ne savent pas quoi faire quand ils doutent. Ils écoutent alors en général leur première impulsion (qui peut être de bondir du coffre de la voiture, d’aboyer, de mordre la laisse, de se précipiter dehors quand on ouvre la porte, de partir comme une flèche quand on décroche la laisse)… Ces chiens-là ont besoin d’apprendre un comportement de substitution incompatible avec cette impulsion, pour freiner leur première idée. Une des multiples pistes est de leur apprendre à me regarder d’abord, juste une petite seconde, pour attendre mon signal. Parce que j’ai beau être une fervente partisane des chiens en liberté, je sais mieux qu’eux quand ils peuvent descendre de la voiture ou traverser la route… Je pourrais leur apprendre un autre comportement incompatible, comme “assis” par exemple. Mais je trouve le regard moins contraignant pour le chien et plus mignon pour le maître. Il a aussi plus de sens pour moi en tant que maître (mon chien cherche la solution en moi, plutôt que de s’asseoir “bêtement”. Mais ça c’est peut-être juste pour moi. En réalité je ne peux pas savoir ce qu’il y a dans la tête du chien). Attention, je ne mets pas de mot (d’ordre) sur le fait de me regarder. Bien sûr, au début, je vais attendre le regard pour libérer le chien, ce qui va lui apprendre que me regarder lui apporte ce qu’il veut (la liberté). “Raccroche-toi à moi, tu pourras te décrocher”. Mais je ne vais pas lui apprendre le mot, pour éviter que ça se transforme en un ordre (« regarde-moi »). Je veux que ça reste du domaine du choix: si je n’ai rien demandé, le chien peut choisir de ne pas le faire. Bien sûr, il ne gagnera pas sa liberté. Mais si c’est son choix, je le respecte.
- Pour faire du maître un référent, un soutien. A force de renforcer le regard sans pour autant le demander, cela devient pour le chien un réflexe de me regarder lorsqu’il doute. Par exemple, lorsqu’il voit un chien ou quelque chose qui lui fait peur, jamais je ne lui demanderais de me regarder (voir plus bas), mais s’il a beaucoup été renforcé dans d’autres circonstances, et aussi parce que notre relation est bonne et que la confiance est là, il aura tendance à le faire. Pour me demander mon avis. Comme on regarderait un ami lorsqu’on ne sait pas quelle réponse donner à une question, ou quel comportement adopter. On n’est pas obligé de regarder cet ami. On le fait, parce que ça nous apporte soutien et réconfort.
Et c’est là que les choses se corsent, parce que beaucoup de gens trouvent le regard travaillé ci-dessus bien pratique, et finissent par s’en servir comme d’un outil. Or, ça n’est pas du tout ce que l’on vise…
Pourquoi ne surtout pas forcer le regard ?
- Parce que, quand on a peur de quelque chose, on a besoin de le regarder. Si votre chien a peur des autres chiens par exemple, ou est fortement intrigué par eux, lui demander de vous regarder risque de le paniquer encore plus. Rien de pire que quand on vous dit « surtout, ne regarde pas derrière toi », non ? Eh bien en forçant le regard d’un chien qui a besoin de voir l’environnement, c’est ce que vous lui faites. Si, une fois qu’il est rassuré, il décide de vous regarder, super ! Mais ne lui demandez pas de le faire. Et même, récompensez le fait de regarder ce qui fait peur. Je n’ai pas de mot pour demander à mes chiens de me regarder dans les yeux, mais j’en ai un pour leur dire qu’ils peuvent regarder ce qui les intrigue (« tu regardes ? » veut dire « regarde ce truc »). Si mon chien bloque sur quelque chose, je lui dis « tu regardes » et je le récompense pour regarder. Cela a un triple effet chien cool. Effet 1 : s’il refuse la nourriture, vous pourrez voir qu’il est vraiment trop stressé et a besoin de se mettre en mouvement ou de s’éloigner de ce qui fait peur. Effet 2 : grâce à Pavlov, il associera une émotion positive (manger) à ce qu’il regarde, et petit à petit, ça fera moins peur. Effet 3 : par retour de bâton, une fois qu’il aura vu que ça ne fait pas si peur, il prendra le raccourci et choisira de vous regarder, au cas où une friandise tomberait 😉 . Vous saurez alors que son stresse a bien diminué. Et c’est là aussi que l’on peut croire que certains ont appris à leur chien à les regarder, alors qu’en fait, ils lui ont appris à regarder ce qui l’intrigue et lui-même choisit souvent de regarder leur maître ensuite. Mais en aucun cas il n’est obligé de le faire ! En aucun cas ils ne lui donnent le signal de les regarder. Vous saisissez la nuance ? L’un est un « ordre », l’autre est un choix.
- Parce qu’imposer au chien de ne pas regarder ce qui l’intéresse peut faire augmenter la frustration, et lui donner encore plus envie de regarder. Certains chiens ont besoin de “regarder”, de boire l’environnement des yeux, comme d’autres ont besoin de renifler. Alors tout comme on n’apprend pas à un chien à ne pas renifler en lui donnant des coups de collier, on n’apprend pas à un chien à ne pas regarder en attirant sa tête vers nous. On peut, en revanche, comme dit plus, haut, renforcer les situations où le chien tournera la tête vers nous. Par exemple, s’il y a un chien en face de vous et que vous vous mettez à marcher en cercle, il y a un moment où le chien veut regarder l’autre chien (vous laissez faire) et un moment dans le cercle où on va commencer à s’éloigner du chien (c’est là que, si le chien décroche, vous pouvez le récompenser). Ca n’est qu’une méthode parmi 100 autres. La seule que je ne recommande pas, c’est de forcer le regard en appelant le chien à répétition, et encore plus évidemment en lui tournant “manuellement” la tête vers nous ! Même si ça peut sembler marcher, le fond du problème ne sera pas réglé et sur le long terme, on en ressentira les effets négatifs.
- Parce qu’on ne veut pas d’un chien conditionné à nous regarder en permanence. Certains chiens, qui ont déjà une nature à se focaliser sur l’humain, ont été tellement renforcés dans leurs regards vers le maître que c’est devenu leur façon d’être. On a du mal à les faire décrocher. Certains ont même du mal à se promener sans être fixés sur le maître. Je connais même deux ou trois borders collies capables de marcher l’intégralité de la balade à l’envers en regardant leur maître. Là, il y a un gros boulot de déconditionnement pour aider ces chiens à redevenir des chiens (qui se baladent, explorent, reniflent, ne sont pas en permanence concentrés ou dans l’attente de quelque chose)
Donc, comme vous vous en rendez compte, cette histoire de regard est plus complexe que “c’est bien ou c’est pas bien d’apprendre à son chien à nous regarder”. La clé, c’est la notion de choix, de consentement. Votre job est de faire entrer ce choix dans le champ des possibles du chien en le renforçant dans votre quotidien. Une fois que cette possibilité est ancrée, votre deuxième job est de laisser la liberté au chien de choisir de vous regarder ou pas. Comme on regarderait un ami. Pas comme on regarde la maîtresse quand elle nous dit « et regarde-moi dans les yeux ! »
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Merci pour cette publication,j’ai une border lili qui regarde en travail d’ob a la marche une fois sur 10 pas je dirais un peu ? mais cela ne lui enleve rien a son travail .
Ce regard dont vous parlez je l’ai dans les balades, et mille fois dans mes journees avec elle à la maison ou partout ou je vais.
Merci de m’avoir ouvert un déclic maintenant je comprend mieux .
Je vais utiliser ce renforcement naturel ,bien plus constructif qu’un regard robotisé qu’elles n’aura jamais et dont je ne veux pas.
Bien à vous ???
Bonjour,
Article très intéressant, merci beaucoup ! Je me rends compte que j’ai trop tendance à demander le regard à mon chien, et notamment lorsqu’on approche d’autres loulou ( il a des tendances réactives), je vais plutot travailler sur récompenser le fait qu’il les regarde tranquillement…à distance bien sur 🙂